Le quartier de la Cité d'hier à aujourd'hui
La Cité internationale de la tapisserie prend place dans l’ancien bâtiment de l’École Nationale d’Art Décoratif d’Aubusson, sur la rive gauche de la Creuse : le quartier Saint-Jean. Depuis le XVIIe siècle, les institutions qui s’y sont succédé ont conféré à ce quartier une importante tradition d’enseignement. Un quartier principalement modelé par l’activité de tapisserie.
Depuis le Moyen-Âge, la ville d’Aubusson s’est développée et fortifiée dans la vallée du ruisseau de la Ville sous la protection du château des vicomtes d’Aubusson la dominant. De l’autre côté de la rivière se trouvait un faubourg occupé par la paroisse de Saint-Jean de la Cour. Celle-ci, indépendante de celle d’Aubusson, relevait de l’abbaye d’Ahun (le Moutier d’Ahun). Elle est restée assez peu peuplée jusqu’au XIXe siècle, lorsque ce quartier qui offrait encore de nombreux emplacements disponibles accueillit de grandes manufactures de tapisserie ainsi que certains bâtiments publics (collège, tribunal).
Le couvent des Récollets
L’emplacement de la nouvelle Cité de la Tapisserie était quant à lui occupé depuis le XVIIe siècle par un couvent de frères franciscains, le Couvent des frères Récollets. Ses frères furent appelés à Aubusson par une délibération des habitants du 13 novembre 1614 avec la mission de "s’appliquer à l’instruction et édification des peuples, particulièrement à celle des nouveaux convertis dont il y a grand nombre dans le pays". Aubusson accueillait de nombreuses familles protestantes, notamment parmi les lissiers. On voit donc bien dans cette implantation un acte symbolique de la contre-réforme. Ayant obtenu l’autorisation épiscopale deux jours plus tard, le monastère fut construit sur les terrains qu’occupera la nouvelle Cité, grâce aux donations de "personnes pieuses de la dite ville et des environs" reçues par le Couvent.
"Aubusson au XVIIe siècle" : plan issu de l’ouvrage Nouvelle Histoire d’Aubusson, tome II, par Maurice Dayras.
Ce couvent comprenait une église, un cloître, des bâtiments conventuels et un grand jardin.
L’église se trouvait au niveau du parking situé sur le devant de la Cité, suivant une orientation Nord-Sud, la porte donnant vers le pont permettant de rejoindre Aubusson. Elle fût consacrée le 5 septembre 1651.
Le cloître se trouvait au niveau de la cour d’entrée de la nouvelle Cité et les bâtiments conventuels étaient dans son prolongement.
Enfin, à l’arrière, se trouvait un grand jardin organisé autour de la forme de la sainte Croix.
Les frères avaient pour mission l’enseignement, la bibliothèque du Couvent renfermait donc de très nombreux ouvrages.
Extrait du cadaste napoléonien d’Aubusson (1812).
Les bâtiments du couvent des Recollets étaient installés autour du cloître (n°10), l’église donnant sur la Place des Recollets. À l’arrière se trouvait un grand jardin (n°9).
Au XVIIIe siècle, le monastère est restauré, notamment grâce à la contribution de certains bienfaiteurs, comme Benoît de Landriève, grand marchand tapissier (Manufacture à qui l’on doit notamment la Verdure fine aux armes du comte de Brühl, l’un des chefs-d’œuvre de la collection). Mais le nombre de frères diminua, ils n’étaient plus que 7 (4 pères et 3 frères) en 1779, signe d’un déclin confirmé au moment où éclata la Révolution.
Le régime révolutionnaire décide de la suppression des établissements religieux par la loi du 13 février 1790, le couvent devient dont la propriété de la commune. Les bâtiments servent tour à tour d’ateliers de fabrication de salpêtre, de greniers à blé ou de salle de spectacle. Quelques séances du tribunal civil se tiennent même dans le réfectoire des moines… Mais, sous le Directoire, les bâtiments retrouvent une fonction d’enseignement. En effet, en compensation des nombreux privilèges accordés à Guéret, l’Ecole Centrale de la Creuse est installée à Aubusson. Le Couvent accueille notamment le cabinet d’Histoire Naturelle, le jardin servant de "classe à ciel ouvert".
L’école supprimée en 1804, les bâtiments, faute d’entretien, sont démolis sous le règne de Napoléon Ier et le jardin devient la Place Villeneuve, grande place publique qui doit son nom au Préfet de la Creuse qui la fait établir en 1823.
Au XIXe siècle, le quartier Saint-Jean se développe grâce aux grandes fabriques de tapis de pied qui s’y installèrent. Guillaume Rogier, maire d’Aubusson, et son associé Jean de Sallandrouze en furent les grands artisans.
En 1838, le terrain situé au-dessus de l’ancien couvent est choisi pour l’installation du Collège d’Aubusson, là encore grâce aux donations de nombreux Aubussonnais. L’emplacement de l’ancien couvent étant inoccupé, on y fait construire un tribunal de style néoclassique et une prison attenante qui y restent jusqu’à leur démolition. Le tribunal est ainsi démoli après la construction de l’École Nationale d’Art Décoratif.
La Place Villeneuve jour un rôle de place publique tout au long des XIXe et XXe siècles, accueillant autour de son kiosque à musique, les fêtes et grands événements de la vie aubussonnaise jusqu’à la fin des années 1960 (ici une cérémonie de remise de médailles militaires pendant la guerre 14-18).
La première École d’art
Ce lieu renoua avec sa tradition d’enseignement dès 1869, lorsqu’une première école d’art adaptée aux besoins de la tapisserie est créée le long de la Place Villeneuve. Rencontrant un succès croissant et bénéficiant du soutien de l’État à partir de 1879, elle devient en 1884 l’une des trois premières Écoles Nationales d’Art Décoratif, avec Paris et Limoges. Cette école joua un rôle essentiel dans le renouveau de la tapisserie grâce à ses directeurs André-Marius Martin et Elie Maingonnat. En parallèle, le premier projet de musée de la tapisserie voit le jour en 1885 sur les ruines du château au Chapitre.
Parallèlement, de l’autre côté de la rue, et en réponse au développement de la demande d’instruction, l’école privée Saint-Louis s’installe en 1898 puis l’école publique de filles Villeneuve. Cette école est construite dans les premières années du XXe siècle en complément des autres écoles de la ville d’Aubusson, notamment de l’école de garçons de la rue Châteaufavier.
Au cours du XXe siècle, le quartier Saint-Jean se développa en même temps qu’Aubusson. Il ne perdit pas sa fonction éducative et culturelle.
Vue aérienne du quartier en 1947 (source I.G.N).
Vue aérienne du quartier en 1969 (source I.G.N).
Vers 1967, les différents bâtiments de l'École d'art sont démolis pour accueillir la nouvelle École Nationale d’Art Décoratif (ENAD), inaugurée le 7 juin 1970. Dans les années 1990, l’École est jumelée avec le site de Limoges. L’antenne d’Aubusson cesse d’accueillir des étudiants en 2011.
Texte d’après Romain Bonnot, enseignant d’histoire-géographie, enseignant-référent auprès de la Cité de la tapisserie.
Pour aller plus loin
Bibliographie :
Cyprien Pérathon, Aubusson Son histoire, 1886, réimprimé en 1990, Le Livre d’Histoire, collection "Monographies des villes et villages de France".
"Tribunal et prison dans l'ancien couvent des Récollets", sur le blog de Jean-Noël Saintrapt.