Les actus de la cité

Premières de cordée : découvrez le catalogue de l’exposition

24.10.2018

Du 17 juin au 23 septembre 2018, la Cité de la tapisserie organisait l’exposition Premières de cordée. Broderies d’artistes à l’origine de la Rénovation de la tapisserie, dédiée aux tapisseries brodées d’artistes entre 1880 et 1950. Richement illustré, le catalogue de l'exposition, Broderies d’artistes. Intimité et créativité dans les arts textiles de la fin du XIXe au milieu du XXe siècle, vous replonge dans l'histoire d'un tournant dans la création textile, pour lequel les femmes intimes des artistes ont joué un rôle décisif.

Pourquoi Aubusson, ville de tapisserie, s’intéresse-t-elle à des broderies ? C'est ce que développe Bruno Ythier, conservateur de la Cité de la tapisserie, dans son avant-propos : alors qu’à la fin du XIXe siècle la tapisserie telle que pratiquée par les Gobelins, Beauvais et Aubusson, faite de prouesses illusionnistes, n’attirait pas les artistes d'avant-garde, certains aspiraient néanmoins à une interprétation textile de leur œuvre, séduits par les techniques de la tapisserie médiévale. Leurs projets textiles vont avoir une importance décisive pour la Rénovation de la tapisserie de lisse alors souhaitée par les pouvoirs publics. À travers une sélection de 50 pièces textiles rares, l’exposition Premières de cordée explorait ainsi les origines de la Rénovation de la tapisserie au XXe siècle vers un retour à ses fondamentaux et mettait en avant les femmes restées dans l’ombre des artistes dont elles ont brodé les œuvres.

Dirigé par la commissaire scientifique de l’exposition, Danièle Véron-Denise, l’ouvrage revient sur les mots de la broderie, de ses techniques et de ses différents points, essentiels à la compréhension des œuvres présentées et de la rupture avec ce qui se faisait jusqu’alors. Ces éléments sont illustrés par de riches images de détails des œuvres.

Comment les avant-gardes artistiques de la fin du XIXe siècle ont-elles renouvelé l’art textile ? Comment ont-elles révolutionné l’esthétique de la tapisserie ? Les portraits de Maillol, Bernard, Ranson, Lurçat, Waroquier, Deltombe, Maillaud, Bissière et Pomey notamment permettent de revenir sur le contexte de création de ces œuvres en avance sur leur temps, mais aussi sur le rôle essentiel joué par les femmes du premier cercle de ces artistes.

Le catalogue répertorie l'ensemble des œuvres de l’exposition, illustrées en haute définition, regroupées pour la première fois en si grand nombre. L'ouvrage apporte ainsi un éclairage singulier sur les origines du renouveau de la tapisserie d’Aubusson au début du XXe siècle.

Broderies d’artistes. Intimité et créativité dans les arts textiles de la fin du XIXe siècle au milieu du XXe siècle, Danièle Véron-Denise, Silvana Editoriale, Milan, 2018.

Infos pratiques

Retrouvez l'ouvrage sur la boutique de la Cité de la tapisserie.

Just'Lissières

Tissage de basse-lisse.

Carré d'Aubusson

La collection "Carré d’Aubusson" a l’ambition d’initier et de produire une série d’œuvres contemporaines en tapisserie, à l’échelle de l’habitat et du décoratif, d’une surface carrée d'environ 3,5 m² (1,84 m x 1,84 m), en lien étroit avec des galeries.

 

Contrepoint aux appels à projets monumentaux que la Cité de la tapisserie réalise par ailleurs, chaque carré de tapisserie, par sa valeur patrimoniale et contemporaine, fera figure d’écran textile, de fenêtre picturale, de paysage tissé...

Dans cet ensemble particulier, la force décorative renoue avec l’usage traditionnel de la tapisserie, produit mobile et mobilier vertical, à échelle domestique : un format à la valeur immersive et, paradoxalement, à la mesure du quotidien.

La collection a pour objectif de mettre en œuvre des productions destinées à des accrochages de la sphère de l'intime. La sélection des artistes contemporains, dont la traduction du langage plastique interroge avec pertinence l’écriture du point de tapisserie, du textile dans son actualité et des qualités intrinsèques d’une image qui apparaît dans l’étoffe par le biais d'une transcription spécifique, viennent actualiser le médium.

Cette série d’œuvres se pense, dès la conception, au regard de la technique patrimoniale d’Aubusson et développe une vision prospective de la place de la tapisserie, interroge la qualité narrative, figurative, prise dans les enjeux actuels tels que le numérique, les questions de représentation, de dimensions et de définitions du visible.

Le premier artiste sollicité pour rejoindre le Fonds contemporain de la Cité de la tapisserie pour la collection "Carré d'Aubusson" est Raùl Illarramendi, dans le cadre d'une convention signée avec la galerie Karsten Greve (Paris).

Jean-Baptiste Bernadet signe le deuxième Carré d'Aubusson, grâce à un partenariat conclu avec la galerie Almine Rech.

Le troisième Carré de la collection sera tissé à partir de l'oeuvre d'Amélie Bertrand en partenariat avec la galerie Semiose.

Le quatrième artiste à réaliser une de ses œuvres en tapisserie d'Aubusson est Romain Bernini avec After Laugher Comes Tears, dans le cadre d’une collaboration entre la Galerie Suzanne Tarasieve et la Cité internationale de la tapisserie. 

La production de la collection "Carré d'Aubusson" est accompagnée par la Fondation Bettencourt Schueller dans le cadre de l'attribution du Prix Liliane Bettencourt pour l'intelligence de la main® - Parcours 2018.

Expo passée

Premières de cordée

Du 17 Juin 2018 au 23 Septembre 2018

Une exposition inattendue !

Pour l’été 2018, la Cité de la tapisserie réinvestit les salles de l’ancien musée départemental de la tapisserie avec une exposition originale consacrée aux tapisseries brodées d’artistes entre 1880 et 1950. La présentation explore ainsi les origines de la Rénovation de la tapisserie au XXe siècle et met en avant les femmes restées dans l’ombre des artistes dont elles ont brodé les œuvres.

Bruno Ythier, conservateur de la Cité de la tapisserie, assure le co-commissariat de cette exposition aux côtés de Danièle Véron-Denise, conservatrice honoraire des textiles au musée du Château de Fontainebleau.

À la fin du XIXe siècle, les artistes d’avant-garde, séduits par l’esthétique de la tapisserie médiévale, cherchent à faire tisser leurs œuvres selon ces techniques. Mais celles-ci sont perdues et ces artistes n’ont ni la notoriété ni les moyens pour faire appel aux manufactures d’État ou aux ateliers privés. Ils se tournent alors vers des femmes de leur premier cercle (épouse, sœur, mère).

Considérées comme des « ouvrages de dames » ces œuvres ont été peu collectionnées par les musées français et se trouvent aujourd’hui surtout en Hollande, au Danemark, en Allemagne, ou dans des collections privées. Il s’agit donc de présenter une sélection de pièces textiles rares souvent plus vues en France depuis un siècle.

Aristide Maillol, Émile Bernard, Paul-Élie Ranson, Fernand Maillaud, Jean Arp, Paul Deltombe, Jean Lurçat, Henri de Waroquier, Roger Bissière, etc. Plusieurs des artistes exposés sont d’ailleurs des chevilles ouvrières de la Rénovation de la tapisserie, à travers le travail textile de femmes intimes.

POURQUOI CETTE EXPOSITION ?
Par Bruno Ythier, Conservateur de la Cité de la tapisserie

Cette présentation est totalement inédite, car c’est la première fois que sont rassemblées autant d’œuvres brodées d’artistes de la fin du XIXe au milieu du XXe siècle. Nombre des brodeuses, épouses ou mères de ces artistes, ont consciemment ou pas, préparé la Rénovation de la tapisserie au XXe siècle.

À la fin du XIXe siècle, la tapisserie de lisse ne répondait pas aux aspirations des avant-gardes artistiques qu’étaient le postimpressionnisme ou le mouvement Nabi. Depuis les années 1875, artistes et critiques voulaient rénover cet art décoratif et lui faire quitter l’influence des peintres au profit des architectes et des décorateurs. À cette époque, plusieurs expositions de tapisseries anciennes, médiévales et Renaissance, montraient leur simplicité formelle, leurs couleurs franches. Elles permettaient de mesurer des siècles d’évolutions techniques, vers toujours plus de finesse, de variété de coloris, de manière picturale.

Si les pouvoir publics souhaitaient donc réformer l’art de la tapisserie, ils ne pouvaient que peu intervenir dans la manière de tisser, car celle-ci était l’apanage des lissiers veillant jalousement sur leurs prérogatives. Ainsi toute une filière était organisée autour de la finesse (9 à 10 fils de chaîne par cm). L’intervention de l’administration des Beaux-Arts se portait principalement sur le choix des artistes et l’iconographie.

Les artistes de l’école de Pont-Aven, les Nabis, comme Émile Bernard, Aristide Maillol ou Paul-Élie Ranson étaient fascinés par la tapisserie médiévale. Ayant changé l’écriture de l’estampe et révolutionné l’art de graver, ils allaient faire de même avec la tapisserie. Bernard débuta dès les années 1880 ; Maillol prit le sujet à bras le corps et créa même ses propres teintures. Grâce au travail de leurs compagnes ou mères brodeuses, ils retrouvaient, enfin ce très gros grain que les lissiers contemporains, d’où qu’ils fussent, ne pouvaient leur réaliser et que de toute façon, les artistes n’avaient pas les moyens de financer.

Il y eut les époux Maillaud et le peintre Jean Lurçat dont l’épouse Marthe Hennebert, lui fit percevoir le potentiel architectural et monumental du textile. Il y eut les époux Deltombe, amis du Directeur de l’École Nationale d’Art Décoratif d’Aubusson, Antoine Marius Martin. Ce dernier, arrivé à Aubusson en 1917, voulait non seulement renouveler les artistes, mais aussi totalement repenser la façon de tisser. Ce graveur postimpressionniste appréciait beaucoup les interprétations d’Yvonne Deltombe aux couleurs véritablement réduites, aux formes affirmées, au grain de tissage trois fois plus gros qu’en tapisserie de lisse. Sa révolution technique à Aubusson ne se fit pas sans mal : le conseil Municipal vota une motion demandant sa destitution et le député Camille Bénassy protesta contre ses méthodes qui détruisaient le savoir faire des peintres et  des ouvriers aubussonnais dont il a ruiné l’école par ses prétentions à rénover l’industrie de la tapisserie.

Les broderies ne représentaient qu’une part de la production de ces artistes mais ils la considéraient comme ayant eu une grande influence, voire ayant été un tournant dans leur carrière.

Ces collaborations intimes entre artistes et leur mère ou épouse, ont mobilisé la technique de la broderie au plus près de la pensée créatrice. Cette connivence était fondamentale pour réussir l’interprétation du projet initial vers le textile. Les musées et amateurs d’Europe du Nord l’ont bien compris et ont largement collectionné ces broderies d’artistes. La France a hélas trop souvent considéré ces pièces comme des ouvrages de dames, sans en comprendre l’importance artistique.

Infos pratiques

PREMIÈRES DE CORDÉE,
Broderies d’artistes, aux sources de la Rénovation de la tapisserie

17 juin - 23 sept. 2018, Centre culturel et artistique Jean-Lurçat, Aubusson

Le billet d'entrée à la Cité internationale de la tapisserie donne accès à l'exposition du Centre culturel et artistique Jean-Lurçat.

Partenaires

Fondation d'entreprise AG2R La Mondiale pour la Vitalité artistique

La Cité de la tapisserie, est soutenue par la Fondation d'entreprise AG2R La Mondiale pour la vitalité artistique, pour l'acquisition d'une maquette de tapisserie de l'artiste vidéaste Clément Cogitore, ainsi que pour le tissage de la première tapisserie d'après les œuvres graphiques originale de J. R. R. Tolkien, Bilbo comes to the Huts of the Raft-Elves. Créée en février 2017, cette fondation d'entreprise dédiée au mécénat culturel s'engage en faveur des territoires, pour la préservation du patrimoine culturel régional, matériel et immatériel, la valorisation de la création contemporaine, ainsi que la promotion des métiers d’art.

Commandes mécénées

eL Seed

Création – eL Seed, artiste franco-tunisien né en 1981, vit et travaille à Dubaï.
Tissage – Just'lissières, Aubusson
Dimensions – 2,50 x 2,50 m

Souhaitant une forte référence à la tradition française, eL Seed a réalisé la maquette de sa tapisserie en calligraphiant une phrase fétiche de Jean Lurçat : « C’est l’aube d’un monde nouveau, un monde où l’homme ne sera plus un loup pour l’homme », gravée sur son épée d’académicien.

 

Un projet international

Parmi ses missions de soutien économique et artistique à la filière tapisserie, la Cité de la tapisserie a engagé une action de prospection vers les Emirats Arabes Unis en 2016, avec le recrutement d’un Volontaire International en Entreprise chargé de nouer un réseau de contacts et déterminer des artistes importants pour les E.A.U. susceptibles d’être tissés.

Le Sénateur de la Creuse Jean-Jacques Lozach, alors Président de la Cité de la tapisserie, le Directeur de la Cité de la tapisserie Emmanuel Gérard ainsi qu'une délégation de la Chambre de Commerce et d'Industrie de la Creuse se sont ensuite rendus aux E.A.U pour appuyer cette mission. Plusieurs projets sont en cours de concrétisation, dont certains vont permettre une présence de la tapisserie d’Aubusson dans des lieux prestigieux des Émirats.

Un projet a particulièrement retenu l’attention de la Cité de la tapisserie pour intégrer la section contemporaine de sa collection publique « Musée de France ». Il s’agit d’une maquette proposée par l’artiste franco-tunisien eL Seed, installé à Dubaï. La Cité de la tapisserie a souhaité acquérir une maquette de cet artiste et en faire réaliser un tissage dans le cadre de son Fonds contemporain.

Ce projet, tout à fait représentatif de la nouvelle démarche engagée pour développer des commandes de tapisseries depuis les Émirats, est ainsi initié par une œuvre exemplaire de la création de ponts entre le métier d’art français et l’expression contemporaine d’un artiste du monde musulman, dans la lignée de la labellisation Unesco.

De plus, le travail d’eL Seed s’inscrit dans une démarche d’art mural prometteuse dans la perspective d’un futur investissement de cet artiste dans la tapisserie.

Présenté aux dirigeants de l’Institut du Monde Arabe, ce projet a reçu un soutien et des encouragements écrits de la part de Jack Lang, Président de l’IMA.

L'artiste s'est rendu à Aubusson en octobre 2017 pour une séance de travail et d'échanges autour de la transcription tissée de son œuvre. Accompagné par une cartonnière et par le conservateur de la Cité de la tapisserie, il a déterminé un cahier des charges précis contenant ses intentions pour le tissage, les œuvres des collections pouvant servir de références (notamment Triangles blancs, d'après Alexander Calder). L'artiste se chargera de la diffusion de son œuvre auprès de collectionneurs et d'institutions muséales, en vue de retissages dans la limite des 7 exemplaires encore possibles.

La tapisserie est tombée de métier en septembre 2020. Elle a été dévoilée publiquement à la Cité internationale de la tapisserie en janvier 2021.

 

Né en France en 1981, eL Seed a installé son studio de création aux Émirats Arabes Unis. Les compositions calligraphiques d’eL Seed font appel non seulement aux mots et à leur signification, mais aussi à leur mouvement, qui transporte le spectateur dans un univers surréaliste. eL Seed aborde, à travers son travail, des sujet qui semblent contradictoires, mais qui reflètent la réalité complexe de l'humanité et du monde dans lequel nous vivons.

eL Seed a installé son travail dans l’espace public, les galeries et les institutions aux quatre coins du monde. Des rues de New York, aux favelas de Rio de Janeiro, des bidonvilles du Cap, aux immeubles de Paris, son approche contemporaine vise à rapprocher les peuples, les cultures et les générations.

En 2017, eL Seed remporte le Prix UNESCO Sharjah pour la culture arabe. Il est nommé « Global Thinker » en 2016 par la revue Foreign Policy pour son projet « Perception » dans le quartier des Chiffonniers du Caire. En 2013, il collabore avec Louis Vuitton en décorant de ses calligraphies le célèbre « Foulard d’artiste ».

Pour aller plus loin

Découvrez les autres oeuvres d'eL Seed sur son site internet

Commandes mécénées

Clément Cogitore

L'artiste et réalisateur Clément Cogitore s'est prêté au jeu de l'adaptation d'une œuvre en tapisserie d'Aubusson, grâce au mécénat de la Fondation d'entreprise AG2R La Mondiale pour la vitalité artistique.

Dans le cadre du Fonds régional pour la création de tapisseries contemporaine, et en parallèle des appels à projets lancés chaque année depuis 2010, la Cité de la tapisserie œuvre pour la création en tapisserie d’Aubusson et ainsi soutenir sa filière économique à travers des projets spécifiques, réalisés en partenariat avec des artistes, des architectes, des galeries, des studios ou d’autres institutions.

La Cité de la tapisserie travaille actuellement avec l’artiste et réalisateur Clément Cogitore dans la perspective de créer une tapisserie, résolument contemporaine, adaptée d'une image créée à partir de plusieurs captures d'écran d'images d'actualité de 2011, lors de la révolution égyptienne : Ghost_Horseman_of_the_Apocalypse_in_Cairo_Egypt.jpg. Cette collaboration est le fruit de la rencontre, il y a quelques années, du directeur de la Cité internationale de la tapisserie Emmanuel Gérard avec Clément Cogitore par l'intermédiaire de Jérémy Planchon et Camille de Bayser.

L'acquisition de cette maquette, qui intègre ainsi les collections "Musée de France" de la Cité de la tapisserie, est soutenue par la Fondation d'entreprise AG2R La Mondiale pour la vitalité artistique. Créée en avril 2007, cette fondation d'entreprise dédiée au mécénat culturel s'engage en faveur des territoires, pour la préservation du patrimoine culturel régional, matériel et immatériel, la valorisation de la création contemporaine, ainsi que la promotion des métiers d’art. 

Ghost_Horseman_of_the_Apocalypse_in_Cairo_Egypt.jpg

Clément Cogitore s’intéresse à la tradition de la représentation de la bataille dans l’art, pour ses aspects cinégéniques et sa qualité à produire du récit, de la fiction et du romanesque, s’appuyant là sur l’iconographie de Paolo Uccello et sa Bataille de San Romano (vers 1456).

Pour son projet de tapisserie, Clément Cogitore puise son inspiration dans les images d’actualités des émeutes de 2011 sur la place Tahrir en Égypte. Parmi les plans des émeutes, un séquence a particulièrement été reprise dans le monde entier, car on y voyait apparaître un halo lumineux (un flare1) traversant la foule et évoquant la silhouette d’un homme à cheval. Des internautes du monde entier l’ont alors identifiée à celle du quatrième cavalier de l’Apocalypse, faisant de ces images un nouveau récit.

Travaillant à partir de captures d’écran très agrandies, Clément Cogitore s’intéresse aux relations entre l’image numérique et la tapisserie dans leur rapport commun au pixel. La découverte des savoir-faire est ainsi envisagée comme un temps préparatoire essentiel à la création de la maquette.

"Ce projet s’inscrit dans la lignée de mon travail autour d’images très peu définies, circulant en réseau suscitant récits, croyances ou superstition chez le regardeur par son absence de détails. Par le manque d’information qu’elle communique, l’image devient alors un support de projection de l’imaginaire du spectateur, ouverte à tous les possibles."

L'adaptation technique

L'enjeu technique consiste à interpréter avec le cartonnier et le lissier une image numérique très peu définie, si compressée que les détails en sont absents, et de la traduire en un tissage assez large, donnant une présence forte au textile, dans des dimensions importantes : 5 x 2 m. Pour déterminer les choix de couleurs et de matières, définir le "grain" de la future tapisserie (le calibre du tissage), l'artiste, accompagné par un comité technique constitué par la Cité de la tapisserie, a choisi de faire réaliser des "tirelles", c'est-à-dire de petits échantillons tissés de quelques centimètres de large. Le comité de tissage a ainsi travaillé à la définition d'un cahier des charges précis pour le tissage de l'œuvre. Après un appel d'offres lancé auprès des ateliers de tissage de la région d'Aubusson-Felletin, l'Atelier A2 a été a été chargé de réaliser la tapisserie.

L'œuvre est présentée dans un accrochage imaginé par l'artiste, du 30 juin au 24 août 2019 sur les planches de la Scène nationale Aubusson. 

Chapelets de couleurs et échantillons tissés. © Cité internationale de la tapisserie.

1. Un flare est une aberration optique dûe à une diffusion parasite de lumière dans l’objectif de la caméra.

 

 

Né en 1983 à Colmar, Clément Cogitore vit et travaille à Paris. Il est représenté par la Galerie Eva Hober (Paris) et la Galerie Reinhard Hauff (Stuttgart).

Après des études à l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg et au Fresnoy-Studio national des arts contemporains, Clément Cogitore développe une pratique à mi-chemin entre cinéma et art contemporain. Mêlant films, vidéos, installations et photographies, son travail questionne les modalités de cohabitation des hommes avec leurs images, il y est question de rituels, de mémoire collective, de figuration du sacré...

Clément Cogitore a été récompensé en 2011 par le Grand prix du Salon de Montrouge, puis nommé pour l’année 2012 pensionnaire de l’Académie de France à Rome-Villa Médicis. En 2015 son premier long-métrage Ni le ciel, Ni la terre a été récompensé par le Prix de la Fondation Gan au Festival de Cannes – Semaine de la critique. Il a été nommé aux Césars 2016 dans la catégorie Premier film. Il a obtenu en 2016 le Prix Sciences Po pour l’art contemporain, ainsi que le Prix de la Fondation Ricard : deux de ses œuvres ont ainsi été sélectionnées pour intégrer la collection du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne. Son travail a été exposé à l’été 2016 au Palais de Tokyo. Premier lauréat du Prix le BAL de la Jeune Création avec l’ADAGP pour Braguino ou La communauté impossible, ce projet lui a également valu la mention spéciale du Grand Prix de la compétition internationale du FIDMarseille en juillet 2017. Nommé aux côtés des artistes Mohammed Bourouissa, Thu Van Tran et Marie Voignier, Clément Cogitore a remporté le Prix Marcel-Duchamp 2018, le 15 octobre 2018. Il met en scène l'opéra-ballet Les Indes Galantes de Jean-Philippe Rameau, à l'Opéra Bastille du 27 septembre au 15 octobre 2019. Clément Cogitore avait signé un film explosif en 2017, adaptation extraite des Indes Galantes avec des danseurs de krump.

Aubusson tisse Tolkien

Les œuvres de la tenture Tolkien

Le projet "Aubusson tisse Tolkien" prévoit la création d'une tenture tissée (suite de tapisseries sur le même thème) à partir de 16 illustrations originales de J. R. R. Tolkien, choisies conjointement par la Cité internationale de la tapisserie et le Tolkien Estate. Les 14 futures tapisseries murales, ainsi que les deux tapis, peuvent être regroupées selon 5 origines, 5 ouvrages du célèbre auteur : Les Lettres du Père Noël, Le Silmarillion, Bilbo le Hobbit, Le Seigneur des Anneaux et Roverandom.

I. Les Lettres du Père Noël

En 1920, John Tolkien, fils aîné de l’auteur, alors âgé de 3 ans, reçoit une lettre apparemment expédiée du Pôle Nord par le Père Noël en personne. Cette lettre lance une tradition familiale qui perdure jusqu’en 1943, soit jusqu’aux 14 ans de Priscilla, la cadette des quatre enfants Tolkien. Le Père Noël raconte aux enfants Tolkien son quotidien et souvent les mésaventures de son premier assistant, l’ours polaire Karhu. Au fil des années, les lettres deviennent de plus en plus longues, et sont accompagnées d’une ou plusieurs illustrations. Lettres et dessins sont publiés pour la première fois en 1976 par Baillie et Christopher Tolkien chez George Allen & Unwin.

Christmas 1926 (extrait)

La manette déclenchant les feux d’artifice de l’Aurore Boréale se trouvait toujours dans la cave de mon ancienne maison. L’Ours du Pôle Nord savait qu’il ne devait jamais, au grand jamais y toucher : je ne l’y autorisais qu’en certaines occasions comme la Noël. Il pensait qu’elle était bloquée depuis que nous avions déménagé ; quoi qu’il en soit, tout de suite après le petit déjeuner, il a tourné autour des ruines (il cache des choses à manger), et il a déclenché toutes les Lumières Septentrionales de deux années en une seule fois. Vous n’avez jamais entendu ni vu quelque chose de semblable. J’ai essayé d’en faire un dessin, mais je tremble trop pour le faire comme il faut, et comment peut-on d’ailleurs peindre la lumière fusante ?

Sur les enveloppes, J. R. R. Tolkien dessinait un timbre représentant le Pôle Nord : c’est littéralement un pôle, bien que découpé par une stalagmite géante, adossé à une aurore boréale. Cette représentation du Pôle Nord est l’élément de base dans la lettre et l’illustration de 1926.

Christmas 1928 (extrait)

Que croyez vous que le bon vieil ours est devenu et qu’a-t-il fait cette fois ? Rien de mieux que d’éteindre toutes les lumières. Pas moins que de dévaler de haut en bas l’escalier principal jeudi dernier ! Nous avions commencé à sortir les premiers colis des magasins pour les descendre dans le hall. Ours Polaire a insisté pour mettre une énorme pile sur la tête en même temps que plusieurs paquets sous les bras. Boum Badaboum Crac ! horribles gémissements et grognements : je me suis précipité sur le palier et j’ai réalisé qu’il était tombé du haut jusqu’en bas pour atterrir sur le nez essaimant tout au long une traînée de ballots, de paquets, de colis et de toutes sortes de choses - et qu’il était tombé sur quelques-uns et les avait écrasés. J’espère que vous n’avez pas reçu l’un d’eux par mégarde ! Je vous ai fait un dessin de tout cela.

Le dessin illustre l’une des mésaventures de l’Ours Polaire Karhu, premier assistant du Père Noël. D’après la lettre de ce dernier, l’ours insista pour prendre une grande quantité de paquets, sur sa tête et dans ses bras, pour les apporter dans les entrepôts et... s'écroula.

Christmas 1933 (extrait)

Une nuit, le jour même de l’anniversaire de Christopher, je me suis réveillé en sursaut. J’avais entendu des couinement et des bredouillements et senti une mauvaise odeur dans ma plus belle chambre, la verte et la pourpre que je venais de décorer avec le plus de faste possible. J’ai alors entrevu un petit visage méchant à la fenêtre. J’ai été plutôt surpris car ma fenêtre se trouvait au-dessus de la falaise ; cela voulait dire que les Goblins chevauchaient des chauves-souris (...). J’étais déjà bien réveillé quand j’ai entendu un tapage provenant des magasins au fond des caves. (...) j’ai essayé de faire un dessin de ce que j’ai vu quand je suis descendu - après avoir écrasé un Goblin sur le paillasson (...). Ours Polaire pressait, aplatissait, piétinait, boxait et envoyait les Goblins dans les airs ; il rugissait comme un zoo et les Goblins hurlaient comme des sifflets de locomotive. Il était splendide. (N’en dites pas plus : ça m’a plu énormément !)

Le dessin de 1933 se lit de bas en haut. Le Père Noël est réveillé par des gobelins cachés sous son lit ou chevauchant des chauves-souris derrière la fenêtre. Le décor de sa chambre est fantastique, violet et vert, avec un arbre ; une étoile, des marques de givre sur les murs et des dragons sur les draps. Le Père Noël descend à l’office (scène du haut) pour y trouver Ours Polaire "écrasant, étouffant, piétinant, boxant et cognant du pied les gobelins". L’aspect gigantesque d’Ours Polaire, qui n’était pas si grand dans les précédentes illustrations, peut avoir été inspiré du Hobbit, écrit en décembre 1933 : dans la bataille des cinq armées, Beorn a pris l’apparence d’un ours gigantesque.

II. Le Silmarillion

Le Silmarillion est une œuvre publiée à titre posthume en 1977 par le fils de J.R.R. Tolkien, Christopher. Commencé dans les années 1910, l’auteur y travaillera jusqu’à sa mort en 1973. Le Silmarillion retrace la genèse et les Premiers Âges de la Terre du Milieu. Après une introduction cosmogonique et une présentation des Valar, les puissances qui gouvernent le monde, l’ouvrage est constitué par la Quenta Silmarillion, un long récit racontant les tribulations et les exploits des Elfes jusqu’à la chute de Morgoth, le premier Seigneur des ténèbres. Le titre du livre provient des Silmarils, trois joyaux aux pouvoirs fabuleux qui sont au cœur de l’histoire. Le reste du livre est dédié à la gloire et la chute des Hommes de Nùmenor au Second Âge et à l’histoire de la Terre du Milieu jusqu’à la guerre de l’Anneau.

Glorund part à la recherche de Tùrin (Quenta Silmarillion, chapitre 21 "Tùrin Turambar", extrait)

Trois jours de voyage les menèrent à Amon Ethir, le Mont des Espions, que Felagund avait fait édifier jadis à grand-peine, une lieue avant les portes de Nargothrond. Mablung fit garder Morwen et sa fille par un cercle de guerriers, leur interdit d’aller plus loin, et comme il ne voyait aucun ennemi du haut de la colline, il descendit vers le Narog avec ses éclaireurs, aussi prudemment qu’il le put. Glaurung avait pourtant senti leur présence, il sortit comme une flamme enragée et se jeta dans le fleuve d’où s’éleva un nuage de vapeur nauséabonde. Mablung et sa troupe, aveuglés, se perdirent, et Glaurung traversa le Narog.

Dans le Livre des Contes Perdus, Tolkien commence vers 1919 l’histoire de Tùrin – un homme du Premier Âge – et celle du dragon Glorund – plus tard Glaurung. Le dragon y est décrit comme un "grand ver" portant des écailles de bronze poli : son souffle est un mélange de feu et de fumée qui détruit les habitations des Elfes (les Rodothlim) situées dans les cavernes surplombant le fleuve. Volant leurs richesses, le dragon constitue un magot et fait de leurs maisons sa tanière. Glorund part à la recherche de Tùrin, bien qu’exécuté un peu plus tard, en 1927, illustre la scène que Tolkien a imaginé pour les Contes Perdus, avec une entrée unique semblable à une caverne. Avec Les Enfants de Hùrin (1920-1925), les cavernes de Rodothlim seront replacées par la forteresse elfique de Nargothrond.

Palais de Manwë sur les Montagnes du monde – Taniquetil (Quenta Silmarillion, chapitre 1 "Au commencement des jours", extrait)

La demeure des Valar sur Almaren fut entièrement détruite et ils n’en avaient pas d’autre sur la surface de la Terre. Ils quittèrent donc les Terres du Milieu et se rendirent dans le Pays d’Aman, territoire de l’Extrême-Ouest situé au bord du monde. (...) Nul ne connaît, hormis les Valar, l’étendue de cette mer, qui conduit aux Murs de La Nuit. Sur la côte Est du Pays d’Aman venait finir Belegaer, la Grande Mer de l’Ouest, et comme Melkor était sur les Terres du Milieu et qu’ils ne pouvaient le renverser, les Valar fortifièrent leur demeure en élevant près de la côte les Pelori, les plus hautes montagnes du monde. La plus haute de ces montagnes, fut celle dont Manwë décida de faire son trône : le sommet sacré du Taniquetil, disent les Elfes, Oiolossë l’Eternelle Blancheur, disent les Eldou, ou Elerrina la Couronnée d’Etoiles – il a bien d’autres noms et plus tard les Sindar l’appelèrent Amon Uilos. De leur palais de Taniquetil, Manwë et Varda pouvaient voir toute la terre jusqu’au fond de l’Orient.

Taniquetil est la montagne la plus élevée de la mythologie de Tolkien. Au sommet, se dresse le palais de marbre bleu de Manwë, chef des Valar, et de son épouse Varda, Dame des Étoiles. Au pied de la montagne est bâtie l’une des villes des Elfes marins, les Teleri. Deux bateaux sont prêts à appareiller : comme décrit par Tolkien, leur proue sculptée est semblable au cou dressé d’un cygne dont ils ont la forme d’ensemble. Leurs avirons, leurs voiles carrées, sont ceux des Vikings. D’un côté de la montagne, la pente est baignée par la clarté du soleil, de l’autre, la lueur d’un croissant de lune crée une sensation de froidure.

Mithrim (La formation de la Terre du Milieu, chapitre 13, "Le retour des Noldor", extrait)

Avant que la Lune vint éclipser la froide lumière des étoiles, l’armée de Feanor remonta l’estuaire du Drengist entre les Collines de l’Echo, Ered Lomin, et atteignit le vaste territoire d’Hithlum. Quand ils arrivèrent sur la rive nord du grand lac Mithrim ils installèrent leur camp dans la région qui porte le même nom. Mais les hordes de Morgoth, alertées par le fracas de Lamoth et l’incendie de Losgar, traversèrent les cols des Montagnes de l’Ombre, Ered Wethrin, et attaquèrent Feanor par surprise avant que le camp ne soit complètement installé et en position de défense. Les plaines grises de Mithrim virent alors la Seconde Bataille des Guerres de Beleriand.

Dans le Livre d’Ishness, se trouve le pays de Hisilomë, (encore appelé Hithlum ou Dorlomin) domaine des ombres. Le lac de Mithrim lui appartient. Le lac est mentionné dans le Livre des Contes Perdus, mais décrit bien plus tard seulement : « eaux pâles sur une vaste étendue car il est de grande taille, eaux puissantes où se reflète faiblement l’image des collines qui l’encerclent ». La peinture montre lac et collines : au loin à gauche, le pic est probablement Thangorodrim. Hormis quelques lignes symbolisant les arbres, Tolkien n’a pas cherché à décrire le littoral boisé que mentionnent certains de ses textes.

Nùmenorean Carpet (Akallabêth, "La chute de Numenor", extrait)

Elendil fit tout ce qu’avait ordonné son père, ses navires furent placés sur la côte Est du pays, les Fidèles y firent monter leurs femmes, leurs enfants, leurs biens de valeur et beaucoup de marchandises. Il y avait là nombre d’objets très beaux et de grand pouvoir, tels que les avaient produits les Numenoréens aux jours de leur sagesse, des coupes, des bijoux et des rouleaux où le savoir était inscrit en lettres rouges et noires. Il y avait les Sept Pierres, le don des Eldar, et le navire d’Isildur portait l’Arbre encore jeune, le rejeton du Beau Nimloth.

La plupart des travaux tardifs de Tolkien sont des dessins d’emblèmes de ses univers et personnages ainsi que des éléments de mobilier imaginaires. Ces créations étaient dessinées pour son plaisir personnel. Elles renvoient à l’art décoratif de sa jeunesse, empruntant largement aux motifs de style néo-médiéval (frises et rosaces), aux arabesques, aux palmettes cachemires, etc. Même quand il griffonnait au lieu d’écrire le Silmarillion, il n’était jamais loin, mentalement, de sa mythologie : en mars 1960, il dessine ainsi un heaume de Numenor, adjoint d’une inscription précisant qu’il appartenait à "un capitaine des Uinendili". À l’époque, il écrivait l’histoire d’Aldarion, sixième roi de Numenor, fondateur de la Guilde des Risquetout. Pour les tapis de Numenor – car Tolkien en dessina plusieurs –, formes florales et géométriques se mélangent, rappelant les ceintures de Numenor réalisées la même année.

Beleg finds Flindling in Taur-na-Fuin (The Silmarillion, chap 14, p.299)

“Beleg quitta Amon Rüdh sans guère d’espoir et fit route vers le nord sur les traces des Orcs, vers le carrefour de Taeglin. Il traversa le Brithiach puis le pays de Dimbar vers le col d’Anach, se rapprochant des Orcs, car il marchait sans jamais dormir alors qu’ils s’attardaient sur la route et allaient chasser sans craindre de poursuite. Il ne s'écarta jamais de leur piste, pas même dans l'épouvantable forêt de Taur-nu-Fuin, car c’était le plus habile chasseur qu’eussent connu les Terres du Milieu. Mais, alors qu’il traversait de nuit ce pays de malheur, il aperçut quelqu’un qui dormait au pied d’un grand arbre mort. Beleg s’approcha du dormeur sans faire de bruit et vit que c'était un Elfe”. 

Cette aquarelle, peinte en juillet 1928 pour le Livre d’ishness, illustre dans le Silmarillion l’instant où Beleg, Elfe de la cour de Thingol, trouve Flinding, Elfe de Nargothrond évadé de la forteresse de Morgoth dans la forêt de Taur-na-Fuin, plus tard appelée forêt de Fangorn. Dans cette scène, Flinding, épuisé, est allongé près d’un arbre immense tandis que Beleg se dirige vers lui en passant sur les racines tordues. Bien que les personnages ne soient vus que de loin, c’est l’interprétation la plus détaillée des Elfes réalisée par Tolkien. Beleg, aux cheveux noirs et portant une courte barbe, trouve Flinding allongé au pied d’un arbre, un capuchon elfique rouge et une lampe à la lueur bleue posés à côté de lui. 

III. Bilbo le Hobbit

Le Hobbit a été rédigé entre la fin des années 1920 et le début des années 1930 pour amuser les jeunes enfants de Tolkien. Il raconte l’histoire de Bilbo Baggins (version originale, dit Bilbon Sacquet dans la 1ère traduction et Bilbo Bessac dans la nouvelle), embarqué malgré lui par le magicien Gandalf et une compagnie de treize nains dans leur voyage vers la Montagne Solitaire, pour récupérer leur trésor gardé par le dragon Smaug. Le livre est paru au Royaume-Uni en 1937.

Les Trolls (Le Hobbit, chapitre 2 "Rôti de mouton", extrait)

Armés des sacs qu’ils utilisaient pour emporter leur butin, mouton ou autre, ils attendirent dans l’ombre. Chaque fois qu’un nain arrivait en haut et apercevait le feu, les pichets renversés et le mouton à moitié dévoré, hop ! un sac puant lui tombait dessus à l’improviste et il était fait prisonnier. [...] "Ça leur apprendra !" dit Tom ; car Bifur et Bombur leur avaient causé beaucoup d’ennuis, se débattant comme des forcenés, ainsi que le font les nains lorsqu’ils sont pris au piège. Thorin arriva en dernier – sans se laisser prendre par surprise. Il avait flairé le danger et n’eut pas besoin de voir les jambes de ses compagnons dépasser des sacs pour se rendre compte que quelque chose ne tournait pas rond. Il se tint dans l’ombre à quelque distance et lança avec fermeté : "Qu’est-ce qui se passe ici ? Qui ose tabasser mes gens ?" "Ce sont des trolls !", dit Bilbo, caché derrière un arbre. Ceux-ci l’avaient complètement oublié. "Ils se terrent dans les buissons avec des sacs", dit-il.

Les Trolls décrit l’arrivée d’un Nain dans la clairière des Trolls. Au bas du dessin, en bordure de la frange, on aperçoit ses épaules, et sa tête coiffée du typique capuchon des Nains très répandu dans les esquisses du Hobbit. Des rondins de hêtre se consument dans un vaste feu et les Trolls se cachent au sein des arbres, juste en dehors du cercle éclairé, en attendant de bondir. 

La composition générale du dessin est empruntée à une illustration de Jennie Harbour pour Hänsel et Gretel, qui figure dans un livre de conte chez Tolkien, mais la copie n’est pas scolaire. La fumée stylisée, sinueuse, les contrastes noir-blanc, se rattachent nettement au style Art Nouveau.

Fendeval ou Fondcombe (Le Hobbit, chapitre 3, "Une brève halte", extrait)

Puis ils parvinrent au bord d’une dépression abrupte – si soudainement que la monture de Gandalf faillit glisser en bas. "Nous y voilà enfin !" annonça-t-il, et les autres s’assemblèrent autour de lui pour contempler la vue. Loin en bas s’étendait une vallée. Ils pouvaient entendre la voix d’un torrent qui coulait, tout au fond, dans son lit de pierres ; le parfum des arbres flottait dans l’air, et il y avait une lueur sur le versant opposé, de l’autre côté du cours d’eau.  Bilbo n’oublia jamais comment, ce soir-là au crépuscule, ils dégringolèrent le chemin sinueux et escarpé qui menait dans la vallée secrète de Fendeval. L’air se réchauffait à mesure qu’ils descendaient, et l’odeur de pin lui donnait sommeil, si bien que, de temps à autre, il s’endormait et manquait de tomber, ou se cognait le nez sur l’encolure du poney. Plus ils s’enfonçaient dans la vallée, plus ils reprenaient courage. Les pins cédèrent la pas aux hêtres et aux chênes. Il y avait dans le soir une atmosphère réconfortante. Les dernières touches de vert avaient presque disparu dans l’herbe lorsqu’ils arrivèrent enfin à une clairière non loin au-dessus des rives du cours d’eau.

Tolkien décrit la belle vallée de Fendeval (ou Fondcombe, Rivendell en anglais) plus par ses dessins que par ses textes. C’est là que réside un groupe d’Elfes sous l’autorité d’Elrond. Le regard est attiré par un bouleau solitaire dans le coin inférieur droit, et par une volée de marche se prolongeant en un long chemin bien visible qui passe un pont, se poursuit avec une seconde volée de marches et termine sa course à la maison, suivant la route de la Confrérie. La direction de la rivière et du sentier, la convergence des falaises indiquent l’Est, en direction des Monts Brumeux, là où s’oriente l’histoire.

Bilbo s’éveilla, le soleil du matin dans les yeux (Le Hobbit, chapitre 7, "Une étrange demeure", extrait)

Cette fois, on lui [Bilbo] permit de monter sur le dos d’un aigle et de s’accrocher entre ses ailes. Le souffle de l’air était partout sur lui et il ferma les yeux. Les nains criaient des adieux et se promettaient de récompenser le Seigneur des Aigles s’ils en avaient un jour l’occasion ; et quinze grands oiseaux déployèrent leurs ailes au flanc de la montagne. À l’Est, le soleil frôlait encore l’horizon. La matinée était fraîche, et la brume sommeillait au creux des vallées et serpentait de part et d’autre des cimes et au sommet des collines. Bilbo entrouvrit les yeux. Ils étaient déjà hauts dans les airs : le monde paraissait lointain et les montagnes disparaissaient rapidement derrière eux. Il referma les yeux et s’agrippa plus fermement.

Tolkien illustre ici les Monts Brumeux : les montagnes, belles mais menaçantes par leurs sommets déchiquetés couverts de neige, s’étendent de chaîne en chaîne jusqu’à l’horizon ténébreux. L’auteur minore le froid de ces lieux, et peut-être apporte un brin d’espoir à la quête de Bilbo en semant dans le paysage des courants jaunes de chaleur et en dissipant les ombres. Il est étonnant d’ailleurs de voir le hobbit chaussé de bottes noires, dont on ne mentionne jamais l’achat, alors qu’en véritable hobbit, il devrait aller pieds-nus. 

Le rapace est repris d’une chromolithographie d’Alexandre Thornburn représentant un aigle doré adolescent, tirée des Oiseaux des îles britanniques et leurs oeufs, de T. A. Coward (première serie, première édition, 1919) : Tolkien adapte l’illustration de départ en stylisant les plumes et en renforçant les couleurs.

Bilbo parvient aux huttes des Elfes des radeaux (Le Hobbit, chapitre 9, "Treize tonneaux à la dérive", extrait)

Ainsi M. Bessac finit tout de même par arriver dans un lieu où les arbres devenaient plus clairsemés de chaque côté. Un ciel plus pâle se dessinait entre leurs cimes. Le sombre cours d’eau s’élargit soudain et rejoignit le flot généreux de la Rivière de la Forêt, arrivée en trombe des grandes portes du roi. Au milieu de cette échancrure, à la surface des eaux qui glissaient imperceptiblement, se voyaient les reflets changeants et brisés de nuages et d’étoiles. Puis le flot pressé de la Rivière de la Forêt entraîna tous les fûts et les barriques vers sa rive septentrionale, où son  cours avait sculpté une large baie. Celle-ci était ceinturée de hautes berges qui donnaient sur une plage de galets, et du côté est, un petit promontoire rocheux s’avançait jusqu’au rivage. La plupart des tonneaux s’échouèrent dans ses eaux peu profondes ; d’autres se heurtèrent à sa jetée de pierre.

C’est l’illustration préférée de Tolkien. Après leur combat avec les araignées, la troupe de hobbits se fait capturer par les Elfes de la Forêt : seul Bilbo leur échappe, grâce au pouvoir de l’anneau. Les suivant jusqu’à leurs cavernes, il finit par libérer ses compagnons et les cache dans des tonneaux de vin vides, tonneaux rejetés dans la rivière grâce à une trappe prévue à cet effet. Bilbo se cramponne à l’un des barils et tous dérivent sur la rivière, jusqu’à ce qu’ils soient récupérés par les Elfes des radeaux qui transportent les tonneaux vides vers Bourg-du-Lac. Contrairement au texte qui fait se dérouler la scène de nuit, le jour est levé : peut-être ce soleil levant suggère-t-il la "renaissance" de la compagnie, après son enfermement au palais du roi des Elfes de la Forêt, Thranduil. Une fois encore, Tolkien se sert en expert de la gouache, en particulier pour l’eau claire autour des barils, le ciel matinal brillant et tout simplement la couleur du papier vierge.

Conversation avec Smaug (Le Hobbit, chapitre 12, "Des nouvelles de l'intérieur", extrait)

Smaug était étendu là, dragon de forme immense, rouge doré, et il dormait profondément. Un grondement émanait de ses mâchoires et de ses narines, ainsi que des volutes de fumée ; mais dans son sommeil, son feu couvait. En-dessous de lui, sous ses membres et sa longue queue enroulée, et partout autour de lui, éparpillés jusque dans les recoins les plus sombres, gisaient des tas et des tas de choses précieuses, de l’or brut ou finement ouvré, des gemmes et des joyaux, et de l’argent maculé de rouge dans l’embrasement de la salle. Smaug, les ailes repliées comme une chauve-souris de taille gigantesque, était étendu en partie sur le côté, de sorte que le hobbit ne pouvait voir sa partie inférieure et son long ventre pâle, tout incrustés de joyaux et de fragments d’or après qu’il fut resté si longtemps allongé sur ce somptueux lit. [...] Bilbo s’était déjà fait conter et chanter toute la richesse des dragons, mais la magnificence d’un tel trésor, la gloire qu’il évoque et la convoitise qu’il suscite, ne lui étaient jamais apparues aussi clairement. Son  cœur transpercé, envoûté, se remplit du désir des nains ; et il contempla, immobile, oubliant presque le redoutable gardien, l’or incalculable et inestimable...

Tolkien écrit qu’il n’existe pas de mots pour exprimer la réaction de Bilbo découvrant le trésor de Smaug : il a donc composé un tableau, amoncellement de richesses brillantes mais sinistres car parsemées des restes de leurs défenseurs. C’est peut-être le collier d’émeraudes de Girion, Seigneur de Dale, qui se trouve à côté de la fleur de lys terminant la queue de Smaug. Le joyau qui rayonne au sommet est certainement l’Arkenstone, le plus précieux des trésors pour les Nains. Le dessin représente Bilbo quand il entre pour la seconde fois dans la tanière du dragon, alors qu’il porte l’anneau magique : son invisibilité est suggérée par la vapeur qui l’environne.

IV. Le Seigneur des Anneaux

La rédaction du Seigneur des Anneaux a été entreprise à la demande de l’éditeur de Tolkien, George Allen & Unwin, suite au succès du Hobbit : douze ans ont été nécessaires pour écrire cette œuvre, divisée en trois volumes à cause du prix du papier trop élevé durant la période d’après guerre : La Communauté de l’Anneau, Les Deux Tours, Le Retour du Roi. L’histoire de l’anneau de pouvoir à détruire reprend certains personnages présentés dans Le Hobbit, mais est plus complexe et sombre que le premier roman de l’auteur. De multiples références et allusions au Silmarillion y sont également faites, insérant le récit dans la longue histoire de la Terre du Milieu sur laquelle Tolkien travaille depuis 1917.

 

Moria Gate (Livre II, chap. 4)

“La langue de terrain sec laissée par le lac était fort étroite. Le sentier les conduisit jusque sous l’avancée de la falaise. Ayant couvert un mile environ vers le sud, ils arrivèrent devant quelques houx. Dans l’eau pourrissaient des souches et des rondins, restes d’anciens halliers ou bien de la haie qui avait autrefois marqué la limite de la route, submergée de l’autre côté de la vallée engloutie. Tout près, sous la falaise, vivants encore et solides, deux grands arbres se dressaient, dont les puissantes racines s’étendaient du mur jusqu’au bord de l’eau…” 

Située sous la chaîne des Montagnes de Brume, la porte de la Moria, ancien site Nains, est traversée par la Fraternité de l’anneau qui cherche à franchir les montagnes. Dans cette illustration, la porte est présentée comme une embrasure ornée, dotée d’une courte volée de marches et de colonnes en spirale . L’embrasure se détache d’un mur bas de roc au-delà duquel s’étendent collines et montagnes.

Map of Middle-Earth 

La Terre du Milieu forme le décor des récits les plus célèbres de J.R.R Tolkien. Cette carte permet de comprendre que la Terre du Milieu, située entre les océans, ressemble à l’Europe transposée dans un passé imaginaire. Dans une lettre de 1958, Tolkien explique qu’il a “construit un temps imaginaire” mais que, pour ce qui est de l’espace, il a “gardé les pieds sur [sa] propre terre maternelle” (Lettres, n°211, 14 octobre 1958, p.399). Dessinée par Christopher J.R. Tolkien, ancien pilote dans la Royal Air Force possédant une excellente connaissance de la cartographie, elle est annotée par Tolkien pour qui Hobbiteville serait situé “à la latitude d’Oxford”. 

V. Roverandom

The Gardens of the Merking’s palace (Roverandom, chap 4. p.98)

“Rover sortit à pied et se trouva sur un sentier de sable blanc qui serpentait à travers une forêt sombre fantastique… Rover suit le chemin, “tout droite”, autant qu’il est possible. Bientôt il aperçoit le portail d’un vaste palais qui semble fait de pierre rose et blanche brillant d’une lueur pâle, qui la traverse. De claires lumières,  vert et bleu, passent ainsi à travers les nombreuses fenêtres. Les murs sont entourés d’immense arbres marins, plus grands que les coupoles du palais, qui rivalisent d’ampleur, étincelant dans l’eau sombre. Les hauts troncs caoutchouteux des arbres se courbent et se balancent, tels des herbes. L’ombre de leurs branches innombrables grouille de poissons : dorés, argentés, rouges, bleus, phosphorescents commes des oiseaux”. 

En 1925,  alors que la famille Tolkien passait des vacances à la plage, Michael, âgé de 5 ans, perdit un petit chien en plomb qu’il appréciait beaucoup. Pour le réconforter, Tolkien invente alors Roverandom qui rapporte l’histoire de Rover, un chien changé en jouet car il importuna un magicien. Dans sa quête pour retrouver le magicien et lui demander d’inverser le sort qui le transforma en jouet, Roverandom traverse la mer dans le ventre de Uin, la plus vieille des baleines. De ce passage de l’histoire est née l’illustration les Jardins du Palais de Merking. Parmis les 5 illustrations réalisées pour ce conte, celle-ci frappe par sa vision de pastels roses, verts, bleus mauves, jaunes, ses courbes et boucles dans une splendeur Art nouveau.

 

Notices alimentées pour partie par les textes de Wayne G.Hammond et Christina Scull, dans J.R.R. Tolkien Artiste et illustrateur.

 

 

 

 

 

Aubusson tisse Tolkien

Tolkien illustrateur

Par Jean-François Luneau, enseignant-chercheur en Histoire de l’art à l’université Clermont-Auvergne.

John Ronald Reuel Tolkien (1892-1973) n’est pas seulement l’écrivain que l’on sait. Il est aussi un prodigieux illustrateur, et plusieurs de ses textes, publiés de son vivant ou à titre posthume, sont accompagnés de ses dessins.

Ayant pris l’habitude, à partir de 1920, d’envoyer chaque année à ses enfants une lettre signée par le Père Noël lui-même, Tolkien l’agrémente d’un ou plusieurs dessins extrêmement soignés qui suivent de près l’histoire narrée dans le courrier par le vieillard barbu. Pour Noël 1926, il dessine ainsi une Aurore boréale au pays du Père Noël. Deux ans plus tard, il présente un Ours polaire maladroit aidant le Père Noël à préparer les cadeaux. En 1933, il raconte et illustre comment, alors que le Père Noël dort du sommeil du juste dans sa chambre qu’il vient juste de remettre à neuf, son fidèle ours polaire, aidé des gnomes rouges, chasse les gobelins ayant envahi la cave où il prépare les cadeaux. 

Pour ses enfants, J.R.R. Tolkien invente également l’histoire intitulée Roverandom. Elle raconte les aventures d’un petit chien, Rover, métamorphosé en jouet pour avoir importuné un magicien. Les Jardins du palais du Roi des Flots illustre les aventures de Rover qui le conduisent de la Lune au fond des mers, à la recherche du magicien qui lui rendra son apparence animale.

Cet art pour les enfants n’est évidemment pas la part la plus célèbre de l'œuvre de Tolkien, dont on connaît mieux les histoires dont la Terre du Milieu est le cadre. Puisant ses sources dans les poèmes épiques de la littérature anglo-saxonne comme Beowulf, les Sagas islandaises ou norvégiennes, les recueil des Eddas islandais, le Kalevala finnois, ou certains romans de William Morris, Tolkien se construit un imaginaire, une matière de la Terre du Milieu comme il existe une matière de Bretagne.

C’est dans ce terreau, riche en figures et en mythes, que Tolkien fait croître ses personnages. Comme on tire sur un fil de laine pour en débrouiller la pelote, Tolkien dévide leur histoire, quitte à reprendre l’écheveau initial et à le compléter pour le rendre cohérent avec les grands romans achevés comme Le Hobbit ou Le Seigneur des Anneaux.

De nombreux dessins de Tolkien accompagnent ainsi la gestation de la Terre du Milieu, et illustrent sa géographie singulière. Les œuvres représentant des épisodes sont autant de prétexte pour montrer des lieux. Le Palais de Manwë sur les Montagnes du Monde au-dessus de Faërie, dessiné en 1928, représente le Taniquetil, la Haute Pointe Blanche, dominant la chaîne des Pelóri, ces immenses murailles montagneuses qui protègent la frontière orientale de Valinor, le pays des Valar. À son sommet se trouve le palais du premier des Valar, Manwê, qui y règne avec son épouse Varda. Le Taniquetil est sans doute une de ces « montagnes vues au loin, qu’on escaladera jamais », que Tolkien évoque dans une de ses lettres à son fils Christopher (Lettre 96). Beleg découvre Flinding à Taur-na-Fúin illustre la forêt de Fangorn où l’archer Beleg, parti à la recherche de son ami Tύrin, découvre l’Elfe Flinding, évadé des mines de Morgoth, le maître de Sauron. 

Le Bélériand, frange occidentale de la Terre du Milieu, est la terre où se déroulent les évènements du Premier Âge. Le lac Mithrim est situé au nord du Bélériand, en Hithlum. C’est sur ses rives que Fëanor remporte la deuxième bataille contre les armées de Morgoth, dite aussi la Bataille sous les étoiles. Glaurung part à la recherche de Túrin, est un des épisodes finaux du Lai des enfants de Húrin, composé entre 1918 et 1925, qui s’achève avec la mort du dragon Glaurung et le suicide de Túrin. Ce premier dragon créé par Morgoth, un Valar déchu, est aussi dangereux par le feu qu’il crache que par sa parole qui ensorcelle et ses yeux sans paupières qui hypnotisent. Le Bélériand disparaît à la fin du Premier Âge, englouti avec la chute de Morgoth et la conflagration qu’elle provoque. L’île de Numénor, située à l’ouest du Monde, entre Valinor et la Terre du Milieu, ne connaît pas un meilleur sort. Siège d’un royaume fondé par les hommes, elle disparaît sous les eaux à la fin du Deuxième Âge. Au Troisième Âge, il ne reste que des Le Hobbit, roman publié en 1937, est illustré par Tolkien dès les premières éditions, parfois de dessins en noir et blanc, comme Les Trolls, dont la stupidité disparaît dans l’évocation d’une sombre forêt magnifiée par le traitement monochrome. À l’instar de certaines œuvres citées auparavant, les figures humaines se fondent souvent dans un paysage grandiose. Rivendell, évocation de Fendevall, la Dernière Maison Hospitalière, est digne d’un paysage des Alpes suisses. Dans Bilbo s’éveille avec le soleil de l’aurore dans les yeux et dans Bilbo arrive aux huttes des elfes des radeaux, la majesté des paysages fait oublier les figures de Bilbo endormi, ou des nains, conquérants burlesques juchés sur des tonneaux. Enfin, dans la Conversation avec Smaug, un dragon à l’odorat affûté aussi bavard que pernicieux, Tolkien choisit le moment où Bilbo le salut :

« Ô Smaug, de toutes les Calamités, la plus grande et la plus Terrible ».

Du Seigneur des Anneaux, vaste roman qui fait suite au Hobbit publié en 1954-1955, dans lequel Tolkien raconte pourquoi et comment les Elfes ont quitté la Terre du Milieu à la fin du Troisième Âge, on retient la Porte de la Moria qui se trouve sur le chemin des héros, lorsqu’ils essaient d’entrer dans la Moria, un royaume des Nains. Quant à la Carte de la Terre du Milieu, elle permet de comprendre que la Terre du Milieu, située entre les océans, ressemble à notre Europe, transposée dans un passé imaginaire.

De la matière si riche de la Terre du Milieu, Tolkien a tiré de longs récits, façonné de nombreux textes, autre nom qu’on donne aux tissus selon une métaphore multimillénaire. Des dessins de Tolkien, on va maintenant tisser une tenture. Car, qu’ils relèvent du genre épique ou burlesque, qu’ils soient de simples paysages, les dessins de Tolkien se prêtent merveilleusement à leur transposition en tapisserie. À défaut de pouvoir visiter le palais du roi Théoden à Edoras, dont les murs sont meublés de tapisseries narrant la geste d’Eorl le Jeune, ancêtre des cavaliers du Rohan, on admirera la mémoire tissée de l’imaginaire de Tolkien.

 

Aubusson tisse Tolkien

Une adaptation tissée inédite

Le point de départ de cette tenture Tolkien est un ensemble d’aquarelles et dessins originaux du célèbre auteur, conservé à la Bodleian Library d’Oxford, et dont la plupart ne mesurent qu’une vingtaine de centimètres de côté. C’est tout le savoir-faire aubussonnais que de réussir la transposition de ces petits formats en œuvres tissées de plusieurs mètres carrés qui devront restituer l’esprit des œuvres originales, pour créer une tenture dans l'esprit des tissages de l'époque des illustrations.

La première étape consiste à déterminer les formats finaux de chaque tapisserie, leur écriture technique, les gammes de couleurs des laines, pour créer l’unité de la tenture tout en respectant les œuvres originales.

Vient ensuite la réalisation des "cartons de tapisseries" servant de guides aux artisans lissiers pendant le tissage, à l’échelle des futures tapisseries. Bruno Ythier, conservateur de la Cité internationale de la tapisserie, présente ce travail de transposition : "C’est un savoir-faire aubussonnais qui est en place depuis un demi-millénaire. C’est le travail du cartonnier, il va transcrire l’œuvre. Ce n’est pas un simple agrandissement, les lissiers racontent souvent cette anecdote : vous partez d’une rose qui est minuscule sur le dessin, si vous l’agrandissez bêtement sans réfléchir, vous vous retrouvez avec un chou. Il faut retravailler l’agrandissement à mesure pour retrouver l’esprit du dessin original. Un ensemble de paramètres techniques doivent être pris en compte, notamment le matériau même de la laine, qui absorbe la lumière et implique que les couleurs doivent être montées en saturation au moment de la teinture pour obtenir des couleurs aussi éclatantes sur les tissages que sur les œuvres originales."

À la suite de la numérisation de chaque dessin en haute définition, pour permettre les agrandissements, un comité de tissage composé de la cartonnière Delphine Mangeret qui trace l’ensemble des cartons, du conservateur de la Cité de la tapisserie et du lissier référent René Duché, a été mis en place dès le printemps 2017 pour penser l’ensemble des contraintes de réalisation qui seront imposées aux lissiers chargés des tissages. Les ateliers de lissiers sont sélectionnés sur présentation d’échantillons.

Le premier carton, qui donne le ton à l’ensemble de la tenture, a été réalisé par la cartonnière Delphine Mangeret. Le choix de cette pièce comme étalon graphique pour l’ensemble de la tenture a été motivé par son caractère très "tapisserie", par ses similitudes avec les réalisations des années 1930 au sein de l’École nationale d’Art décoratif d’Aubusson, inspirant au comité de tissage un parti-pris d’interprétation ancien, que l’École avait remis en avant avec l’usage de couleurs pures et une écriture technique très marquée, inspirée de la tapisserie des XVe et XVIe siècles, peu utilisée aujourd’hui.

Le carton de l’œuvre Bilbo comes to the Huts of the Raft-elves a donné lieu à un premier tissage débuté fin novembre 2017, à la suite d’un appel d’offres lancé auprès des différents ateliers privés de la région d’Aubusson-Felletin.

L’atelier A2 (Aubusson), en charge du tissage, a été accueilli au sein de l’atelier de la Cité, dont le métier à tisser de 8 mètres de long est mis à disposition des lissiers pour des commandes de grande envergure. La cérémonie de la "tombée de métier" s'est déroulée le 6 avril 2018 en présence de Baillie Tolkien, belle-fille de l'auteur.

Découvrez le travail de préparation au tissage en vidéo :

Retour en images sur la première "tombée de métier" :

 

 

 

La Fondation d'entreprise AG2R LA MONDIALE pour la vitalité artistique est grand mécène de la Tenture Tolkien.